Il y a quelques années, j’ai écrit sur ce même blog un article intitulé : « Pourquoi je ne suis plus reconstructionniste ? ». Je ne m’en cache pas et je n’en ai pas honte. Tout simplement parce que c’est un article qui témoignait de ma façon d’analyser ma pratique spirituelle à un instant T de mon parcours et que j’ai continué à évoluer après. Comme le dit le proverbe : « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. » La pratique, les rencontres et les expériences nous amènent dans certains cas à confirmer, parfois à ajuster et d’autres cas à revoir nos opinions. Avec le recul je comprends surtout que c’est l’idéal reconstructionniste à laquelle j’ai renoncé, mais pas la méthode reconstructionniste. Je ne sais pas si vous saisissez la nuance. En tout cas, je vais essayer d’expliquer mon point de vue. J’aborderai enfin une des critiques adressées aux reconstructionnistes par d’autres mouvances polythéistes, païennes ou ésotériques.
Le mot reconstructionnisme
Contrairement à ce que je pensais, il y a quelques années, le mot reconstructionnisme n’est pas propre au milieu (néo)païen. Nous le trouvons aussi chez les juifs, c’est ce que nous apprend un article de l’encyclopédie Britannica. C’est un mouvement juif américain datant de 1922. Il existe aussi un mouvement reconstructionniste chrétien. Le reconstructionnisme qui nous intéresse ici est le reconstructionnisme polythéiste, aussi qualifié de païen. Si le mot reconstruction figure dans les dictionnaires Larousse et Le Robert, ce n’est pas le cas de reconstructionnisme. Je n’ai trouvé ce dernier que dans les encyclopédies, qui consacrent des articles aux types de reconstructionnisme. Avouez que ce n’est pas un mot d’usage courant. Reconstructionnisme est basé sur le mot reconstruction, auquel a été ajouté le suffixe isme, utilisé pour former un nom correspondant à une doctrine, un dogme, une idéologie ou une théorie. Pensez par exemple au royalisme, au bouddhisme, au sexisme, etc. Généralement, le reconstructionnisme polythéiste ( polytheistic reconstructionism en anglais) est présenté comme le fait de restaurer une culture ou même de pratiquer des religions la plupart du temps polythéistes (païennes), en s’appuyant sur des bases historiques, dans le monde moderne (1). Cette définition étant posée, notre sujet est donc clairement défini. Étudions maintenant de plus près ce que j’entends par idéal reconstructionniste.
Qu’est-ce que l’idéal reconstructionniste polythéiste ?
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un idéal ? Là encore, je vais me référer aux dictionnaires pour retourner au sens premier et communément admis de ce mot. Ainsi, nous serons sûr de bien nous comprendre.
Idéal (nom masculin) : modèle d’une perfection absolue, qui répond aux exigences esthétiques, morales, intellectuelles de quelqu’un.
Dictionnaire Larousse
Idéal (nom masculin) : Ce que l’on se représente ou se propose comme type parfait ou modèle absolu (dans l’ordre pratique, esthétique ou intellectuel).
Dictionnaire Le robert
L’idéal reconstructionniste polythéiste ou (néo)païen est donc une représentation idéalisée qu’une personne se fait de la culture et/ou de la religion polythéiste, qu’il souhaite faire revivre aujourd’hui. Par idéalisée, il faut comprendre une vision parfaite, une pratique pure, glorifiée à l’excès et/ou flatteuse de celle-ci. C’est un peu comme rêver d’un âge d’or perdu. Hors durant mes premières années, j’avoue avoir pas mal idéalisé la culture égyptienne, ma première tradition, au point de l’avoir vu comme un idéal de spiritualité, d’accomplissement et de civilisation. Je ne pense pas avoir été la seule dans ce cas. Quand un pratiquant admire avec passion sa tradition, son admiration peut parfois prendre des proportions démesurées et irréalistes. Restaurer celle-ci se change en mission personnelle, qui donne un sens glorieux à une existence, qui devient presque une « mission de vie » comme aiment le dire les gourous du New Age et du développement personnel. C’est beau, c’est exaltant, c’est romantique… mais pas réaliste. C’est ainsi qu’au bout de quelques années, je me suis rendu compte de mon erreur. Mieux vaut tard que jamais. Aussi belles et sages soient nos traditions, aucune n’est parfaite et surtout aucun d’entre nous n’en possède une vision juste et 100 % conforme à la conceptions des anciens. Il ne faut en effet jamais oublier que ces dernières ont été interrompues dans le temps et certaines possèdent peu de sources écrites. Il y a donc des lacunes.
Si l’histoire et l’archéologie nous fournissent de la matière pour reconstruire d’anciennes religions polythéistes, il faut toujours se rappeler que celle-ci est aussi constituée d’hypothèses, qui peuvent être confirmées, complétées ou totalement remises en question par une nouvelle découverte archéologique par exemple. Les anciennes religions polythéistes sont comme des puzzles, dont beaucoup de pièces seraient manquantes et qui comportent d’importantes zones vierges. Les sciences nous permettent seulement de faire des suppositions pour combler ces zones vides, en nous basant sur l’étude des données dont nous disposons. Ainsi, il y a quelques années, j’ai donc renoncé à ma vision idéalisée reconstructionniste. Elle consistait à croire pourvoir pratiquer exactement comme les anciens, les envisager (presque) sans défauts et tenter de restaurer une sorte d’âge d’or plus fantasmé, que réel. Je croyais à ce moment que renoncer à cet idéal, c’était abandonner la notion de reconstructionnisme, mais je me trompais.
La méthode reconstructionniste
Là encore, je vais prendre le dictionnaire, pour que nous soyons bien d’accord sur ce que désigne le mot méthode. Certes, c’est très scolaire comme façon de faire, mais cela évite bien des quiproquos et incompréhensions entre un auteur et ses lecteurs.
Méthode (nom féminin) : Marche rationnelle de l’esprit pour arriver à la connaissance ou à la démonstration d’une vérité.
Dictionnaire Larousse
Méthode (nom féminin) : Ensemble de démarches que suit l’esprit pour découvrir et démontrer la vérité. Ensemble de démarches raisonnées, suivies pour parvenir à un but.
Dictionnaire le robert
Synonymes : approche, démarche, moyen, procédé, raisonnement, procédure, technique…
A mon sens, le reconstructionnisme polythéiste n’est pas une pratique religieuse en soi, ni une forme de culte. Ce n’est pas une dénomination religieuse comme les mots wicca, hellénisme, netjerisme, Ásatrú, odinisme, chamanisme ou druidisme. C’est plutôt une méthode ou un procédé par lequel il est possible de mieux étudier, connaître et mettre en pratique une spiritualité polythéiste ancienne. Cette approche est comme une enquête que le pratiquant mène au cœur des dernières recherches historiques, archéologiques, anthropologiques, littéraires et linguistiques universitaires. Son objectif est d’approfondir sa compréhension d’une culture ancienne et d’étoffer sa pratique de la religion, en s’appuyant sur cette base. La compréhension du contexte historique et culturel d’une spiritualité polythéiste est en effet très importante pour expliquer pourquoi les gens ont agi comme ils l’ont fait à leur époque. Ceci peut nous aider ensuite à mieux comprendre comment nous pourrions agir aujourd’hui, dans le cadre de nos traditions respectives et en tenant compte de notre propre contexte. J’insiste bien sur « pourrions » et pas « devrions », car comme je l’ai dit précédemment il y a des zones d’ombres et des lacunes dans cet héritage ancien. Toutes les informations utiles à notre pratique ne nous sont pas parvenues. Notre vision de ces religions est donc incomplète. Il y a des choses que nous ne savons pas, d’autres sur lesquelles les historiens émettent des hypothèses. Pour autant, il ne me semble pas envisageable de reconstruire un culte ancien, en minimisant l’importance que les pratiquants anciens de cette foi nous ont laissé comme héritage, cela sous prétexte que nous n’en avons pas une vue d’ensemble sûre et complète. Ce n’est pas parce qu’on ne sait pas tout, qu’on peut faire n’importe quoi. Il y a un juste équilibre à trouver.
Les critiques adressées aux reconstructionnistes
Par expérience, je me suis aussi rendu compte que les reconstructionnistes ne sont pas toujours bien perçus au sein du paganisme/polythéisme contemporain. C’est surtout leur attitude, qui est souvent sujet à critiques. Ils sont jugés hautains, trop stricts ou sérieux, voire élitistes. Il s’agit évidemment d’une perception subjective, mais qu’il est intéressant de chercher à comprendre. Lorsque j’étais débutante, il m’est arrivé d’avoir aussi cette impression vis-à -vis de polythéistes plus expérimentés, dont les réponses étaient sèches et tranchantes sur les forums de discussion, instaurant une sorte de distance entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Certains interlocuteurs affichaient (plus ou moins consciemment peut-être) leur niveau d’éducation et leurs connaissances, pour mieux écraser leur interlocuteur et démontrer leur supériorité intellectuelle, n’hésitant pas à tenir des propos sarcastiques.
Mais, c’est un piège dans lequel il est facile de tomber, dès que nous pensons avoir accru suffisamment nos connaissances et maîtriser un sujet. Cela relève peut-être de l’effet Dunning-Kruger (2) ou effet de surconfiance. Pour faire simple, il s’agit d’un biais cognitif, c’est-à-dire une perception erronée de la réalité. La personne affectée par ce biais pense être compétente sur un sujet, surestime ses connaissances, alors qu’elle est loin d’être experte. Je reconnais volontiers, moi aussi ne pas avoir été très aimable parfois dans certains échanges, pensant « maîtriser » une question. J’ai donc expérimenté les deux positions, snober et être snobée. Le reconstructionnisme polythéiste est une démarche qui demande un engagement en termes de recherches, de lectures et d’acquisition de connaissances. Parfois, nous ne nous rendons pas compte que nous employons du vocabulaire, des concepts et des références, que d’autres ne comprennent pas et qui créent involontairement une distance.
Évidemment, les reconstructionnistes n’ont pas toujours tort et c’est aussi parfois chez leurs interlocuteurs, qu’il peut y avoir un problème. Beaucoup de conflits éclatent sur les espaces de discussions à cause de réactions trop émotionnelles et de difficultés de communication. Il y a encore trop de pratiquants qui pensent que parce que leurs opinions sont critiquées, leur personne l’est aussi. Une discussion d’idées ne devrait pas être une discussion sur la valeur des intervenants. Les idées changent. Les personnes évoluent grâce aux rencontres et aux expériences. Nous pouvons donc penser une chose à un instant T de notre vie et changer d’avis, quelques années plus tard. Parfois, ils s’imaginent que quand leur contradicteur présente sa vision des choses, c’est pour tenter de lui imposer. Hors, c’est loin d’être toujours le cas. Et cette interprétation hâtive ferme assez rapidement la discussion sur un quiproquo. Alors que deux personnes peuvent très bien rester en bons termes, sans être d’accord sur tout les sujets. Accepter l’existence de points de vue différents du nôtre est une preuve d’ouverture d’esprit et permet aussi d’éviter le piège de l’entre-soi.
« La notion d’entre-soi désigne le regroupement de personnes aux caractéristiques communes, que ce soit dans un quartier, une assemblée politique, ou encore un lieu culturel. Elle sous-entend l’exclusion, plus ou moins active et consciente, des autres. Cette mise à distance d’autrui peut être revendiquée au nom de la supériorité d’un groupe : les Blancs d’une société ségrégée, les nobles ou grands bourgeois d’un club fermé. À l’inverse, elle est parfois le mot d’ordre des groupes opprimés : les femmes ou les personnes racisées revendiquant la non mixité des luttes, les gays et les lesbiennes se créant des espaces protégés dans la ville. »
Extrait de « Entre soi et les autres » page 144, Sylvie Tissot, Éditions Le Seuil (2014)
Pour terminer sur ce sujet….
Pour conclure, je dirais que l’idéal reconstructionniste m’a conduite à suivre une vision fantasmée et parfaite d’une tradition, une sorte de rêve d’un âge d’or où le clergé égyptien ou païen antique, par exemple, était un modèle de sagesse irréprochable, etc. C’est un peu comme lorsque nous tombons amoureux. Au début dans la relation, nous vivons une phase exaltante, passionnel où tout semble parfait. C’est comme un rêve. Mais ensuite vient la phase de consolidation et d’approfondissement de la relation. Notre regard devient plus réaliste et capable d’admettre les imperfections de l’autre et d’envisager un développement à long terme (ou pas). L’abandon de l’idéal reconstructionniste a été une phase de maturité durant laquelle faire le tri entre ce qui était raisonnable et ce qui ne l’était pas, ce qui était possible ou pas. Le reconstructionnisme y a pris sa juste place, celle d’une méthode qui permet d’étudier et d’intégrer l’héritage des anciens, en étant consciente des limites de nos connaissances, pour mieux intégrer et pratiquer mon polythéisme dans notre contexte actuel. Le reconstructionnisme polythéiste n’est pas une voie en soit, comme le netjerisme ou l’hellénisme, mais bien un moyen ou si vous préférez un outil pour nous aider à restaurer ces traditions aujourd’hui.
Notes
(1) Voir Wikipédia, article « Reconstructionism Q&A » sur hellenicfaith.com, page «What We Mean by Pagan Reconstructionism » sur novaroma.org, The Pagan Federation, patheos.com, etc.
(2) Effet dunning-kruger ou effet de surconfiance est un biais cognitif. Les personnes touchées par celui-ci pourtant les moins qualifiées d’un groupe tendent à surestimer leurs compétences dans un domaine et ne parviennent pas à reconnaître la compétence de ceux, qui la possèdent véritablement . Ces personnes ont des difficultés à évaluer leurs réelles capacités. L’étude menée par les psychologues David Dunning et Justin Kruger évoquer également des effets corollaires : les personnes les plus qualifiées au contraire tendent à sous-estimer leur niveau de compétence.
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