Source Pexels – Anete Lusina

Le développement personnel est le second domaine, après le paganisme ou polythéisme , dans lequel j’ai passé beaucoup de temps. Mais récemment, j’ai entamé une sorte de divorce, le mot est dur peut-être. Allez disons que c’est plutôt une prise de recul avec ce milieu. Après divers soucis de santé, j’ai dû renoncer à mon job en 2020 et entamer un processus de reconversion professionnelle. Après avoir hésité sur plusieurs voies, j’ai été un temps coach de vie, mais pas que… C’est une expérience professionnelle intéressante et très concrète. Paradoxalement, elle m’a sûrement aidé, même si ce n’était pas son but, à prendre mes distances et à avoir un regard critique sur ce milieu. J’ai fait de belles rencontres et aidé des gens formidables. Et c’est justement en les accompagnant avec sincérité, qu’il m’a fallu remettre en question mon point de vue sur ce milieu, pas toujours très sain. J’ai toujours eu à cœur d’avoir une démarche éthique. J’ai entre autres le prosélytisme en horreur. Heureusement, les techniques enseignées lors de ma formation n’étaient aucunement liées à ma pratique polythéiste, ni du domaine du spirituel. Je n’avais donc aucun mal à séparer nettement les deux. Mais, je me rendais bien compte que ce n’était pas le cas pour d’autres praticiens spécifiquement dans le domaine spirituel. Leurs comportements se rapprochaient dangereusement d’une forme de prosélyte inconscient.

Prosélytisme inconscient, de quoi parle-t-on ?

Comme dans l’article précédent sur l’idéal reconstructionniste et la méthode reconstructionniste, je vais reprendre les mots importants du sujet de cet article et poser ici les définitions. Ma démarche peut paraître très « scolaire », pourtant je suis convaincue que cela peut éviter quelques méprises sur le sens donné aux mots et clairement baliser les limites de ce sujet. Je précise d’ailleurs qu’ici je ne parle que des praticiens en coaching ou en thérapies, se rattachant au domaine spirituel ou qui s’étiquettent eux-même comme tel.

Prosélytisme
« Zèle ardent pour recruter des adeptes, pour tenter d’imposer ses idées. » (Larousse)
« zèle déployé pour attirer de nouveaux adeptes, pour propager une doctrine. » (Universalis.fr)

Inconscient
Qui n’a pas conscience de quelque chose, qui ne s’en rend pas compte, par insouciance, légèreté d’esprit, etc. (Larousse)
Qui n’est pas conscient, qui ne se rend pas compte de ses actes. (Universalis.fr)

En tant que polythéiste, le prosélytisme ne fait pas partie de ma pratique. Je déteste même cette attitude. Car elle me rappelle d’une part les démarches des témoins de Jéhovah par exemple, qui à peu près tous les deux ans viennent frapper à ma porte pour essayer de me convaincre de les rejoindre. D’autre part, ce mot évoque aussi les épisodes violents voire sanglants de conversions forcées du christianisme envers les païens du passé. C’est un mot péjoratif et une attitude qui nie la liberté de conscience de l’individu. Celui qui cherche à convertir l’autre est convaincu de détenir une vérité supérieure. De ce fait, il peut user de persuasion ou de contrainte pour lui imposer en invoquant agir pour son bien, plaire à dieu ou pour le bien de l’humanité, etc. Je ne me souviens pas avoir rencontré dans le monde du développement personnel et des nouvelles spiritualités de la sphère New Age, d’attitudes comparables en termes d’usage de contraintes violentes ou de persuasions. Je peux évidemment me tromper. Il me semble que si il y a du prosélytisme, il est plus subtil voir parfois même inconscient de la part des coachs et thérapeutes spirituels. C’est à dire qu’ils n’ont pas conscience du poids de leurs mots ou de leur pouvoir d’influence sur leur clientèle. Ils peuvent machinalement et spontanément partager avec eux leurs croyances, sans penser aux conséquences. Alors que dans d’autres professions relevant de la relation d’aide, plus encadrées, ce problème est clairement abordé. Par exemple, le code de déontologie des psychologues du CNCDP (commission nationale consultative de déontologie des psychologues) comprend un passage concernant l’influence qu’ils pourraient avoir sur les idéologies de leurs patients, il s’agit du principe 3 intitulé « Intégrité et probité ».

Principe 3 : Intégrité et probité

En toutes circonstances, la·le psychologue respecte les principes éthiques, les valeurs d’intégrité et de probité inhérents à l’exercice de sa profession. Elle·il a pour obligation de ne pas exploiter une relation professionnelle à des fins personnelles, religieuses, sectaires, politiques, ou en vue de tout autre intérêt idéologique. Elle·il prend en considération les utilisations qui pourraient être faites de ses interventions et de ses écrits par des tiers.

CNCDP (commission nationale consultative de déontologie des psychologues)

De la volonté de bien faire au pouvoir d’influencer

Malheureusement beaucoup de pratiques de coaching et de thérapie dites spirituelles (sphère du New Age, ésotérisme…) ne possèdent pas de code de déontologie (ou très superficiel), ni même d’organisation ou de structure pour cadrer leurs pratiques. Ces praticiens pensent sincèrement agir pour le bien de leurs clients en utilisant des techniques liées à leurs croyances et qui ont été bénéfiques pour eux. Ils n’ont en fait pas forcément conscience du pouvoir d’influence qu’ils peuvent avoir sur leurs clients, enfin pas tous… Cela devrait pourtant être enseigné au cours de leur formation. La relation d’aide n’est pas quelque chose qui s’improvise. Si vous voulez approfondir le sujet, je vous renvoie à l’ouvrage, Se former à la relation d’aide, de Antoine Bioy (professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l’université Paris 8 ) et Anne Maquet (psychothérapeute humaniste, formatrice dans le domaine de la dépendance et de la relation d’aide) aux éditions Dunod. Je citerai ce passage concernant la relation du praticien envers la personne en demande d’aide :

« Responsabilité et manipulation

Notons dès à présent la légitimité d’un questionnement qui concerne toute forme de suivi thérapeutique : la place de la manipulation dans le processus d’entraide. En effet, le patient est un être en demande. Il est fragilisé par un symptôme, une situation, et demande de l’aide à ce propos. Tout cela concourt à inscrire la relation qui l’unit au thérapeute dans une forme d’inégalité. Si le patient garde la liberté de changer de thérapeute, de dire « oui » ou « non » à un suivi avec une personne donnée, pour autant sa situation s’inscrit dans une grande fragilité. Souvent désespéré, dans la difficulté de trouver une solution à son problème par lui-même (sinon, pourquoi viendrait-il ?), le patient se place dans la position de demandeur. Il vient chercher une réponse et place ainsi le thérapeute dans la position du sujet « supposé savoir », pour reprendre la célèbre formule du psychanalyste Jacques Lacan. « Moi je ne sais pas, mais lui va me dire comment faire » est une pensée qui sous-tend la quasi-totalité des demandes de suivis thérapeutiques.»

Extrait de Se former à la relation d’aide, page 8, de Antoine Bioy et Anne Maquet

Les clients de ces praticiens sont pour la plupart des hommes et des femmes, qui sont en demande d’aide, parfois même en détresse, en attente de réponses ou d’un sens à donner à leur vie. Ils font face à des périodes difficiles ou à des problèmes de santé, que la médecine allopathique peut avoir du mal à traiter. Ce sont donc des gens plus fragiles et influençables. Ils peuvent se sentir démunis et impuissants face à ce qui leur arrive. Ce n’est donc pas un public, auquel un professionnel peut s’adresser n’importe comment. Même si tout consultant peut exercer son libre arbitre et refuser un soin, une croyance, c’est plus difficile lorsque cette personne est en position de faiblesse ou qu’il perçoit le praticien comme « quelqu’un qui sait mieux que lui/elle ».

Relation de confiance, vérité et abus

Source Pexel, Magicbowls

Amener leurs prospects à adhérer à leurs conceptions du monde et de la santé humaine se fait spontanément, sans penser forcément à mal, je suppose. Cela va de pair avec leur désir d’expliquer leur pratique et les concepts sur lesquels elle repose. Sauf que ceux-ci appartiennent à des spiritualités et/ou des religions (féminin sacré, chamanisme, tantrisme, druidisme, chakras, philosophie spirite, etc) spécifiques. Se faisant, ils influencent les personnes qui les consultent. Ils peuvent les amener à adhérer à leurs conceptions spirituelles, parce cela fait partie du processus thérapeutique qu’ils emploient pour les aider à guérir ou à résoudre un problème. Le glissement s’opère alors de la volonté d’expliciter une pratique à une forme de prosélytisme inconscient. A mon sens, si venir en aide à quelqu’un implique de le faire adhérer à vos croyances, il y a un problème, peu importe la pureté de vos intentions. Le coaching ou la thérapie se changent alors en une passerelle (involontaire ou pas) pour amener quelqu’un vers une spiritualité ou un mode de pensée, qui n’était pas le sien au départ, sous prétexte de le guérir ou de l’aider à résoudre ses problèmes.

Lorsqu’un client vient consulter un(e) praticien(ne) du domaine spirituel, il va lui accorder sa confiance. Si celui-ci lui présente sa méthode et les croyances qui la soutiennent comme une vérité, il glisse doucement vers la dérive sectaire.

Du marketing au prosélytisme

Mais, je soupçonne aussi l’usage du marketing pour promouvoir des activités spirituelles, d’être aussi une cause de dérives.

Marketing : Ensemble des actions qui ont pour objet de connaître, de prévoir et, éventuellement, de stimuler les besoins des consommateurs à l’égard des biens et des services et d’adapter la production et la commercialisation aux besoins ainsi précisés.

Larousse

L’objectif du marketing est de promouvoir des services, des produits, voire de susciter des besoins chez les prospects ciblés. Si le prosélytisme est le « zèle déployé pour attirer de nouveaux adeptes, pour propager une doctrine» (Universalis.fr). Il me semble, que nous pouvons dire que le webmarketing est « le zéle employé pour attirer de nouveaux clients ». Généralement si vous avez un problème, le praticien et ces techniques sont présentés comme la solution à ceux-ci. Le marketing est là pour vous convaincre et vous inciter à consommer. Hors, en utilisant ces pratiques commerciales afin de vendre des services liés à un type de spiritualité, indirectement c’est aussi la promotion de cette spiritualité et de ces concepts, qui est faite. La frontière entre faire sa publicité et avoir une démarche prosélyte est parfois assez mince, surtout quand on présente l’usage d’une technique associée à des croyances comme la vérité ou le moyen sûr de vous aider. C’est dans le discours employé et au cas par cas, qu’il faut relever les subtilités, qui témoignent d’une dérive. J’insiste à ce sujet, ne faisons pas non plus une généralité en mettant tout le monde dans le même panier. Mais le sujet mérite réflexion et surtout une prise de conscience sur les dérives potentielles.

praticien en thérapie spirituel, rituel de guérison
Source pexel, photo de Arina Krasnikova

Pour conclure

Au cours de la décennie 2010 à 2020, le développement personnel et les nouvelles spiritualités d’influence New Age ont connu une période d’essor, qui s’est accru avec l’arrivée du COVID. Celui-ci a renforcé la défiance du public envers la médecine conventionnelle et s’est alors tourné vers des méthodes moins conventionnelles. Pendant ma courte expérience de praticienne, j’avais bien séparé ma spiritualité de ma pratique de coaching. Cela me semblait une évidence. Je ne devais pas mélanger mes conceptions polythéistes avec cette forme d’accompagnement. C’est une question d’éthique. Et de toute façon, les techniques que j’avais apprises, n’avaient aucun lien avec mes conceptions païennes. Mais, j’ai constaté, que ce n’est pas le cas pour tous les praticiens. Il manque certes des structures pour encadrer le foisonnement de pratiques existantes, des formations sérieuses et un code de déontologie. Mais même avec cela, je ne suis pas sûr que le coaching et la thérapie devraient être associés à la spiritualité. Pourquoi ? Parce que la croyance est d’ordre personnelle et intime. Si un système a pu aider quelqu’un, il n’aidera pas forcément une autre personne, d’autres facteurs rentrent en ligne de compte. Nous sommes ici dans le domaine de la croyance. De par sa position, le praticien peut influencer volontairement ou non la personne qui le consulte, alors qu’il devrait être neutre. Le seul public, auquel un coach ou thérapeute spirituel peut s’adresser, est à la rigueur celui qui partage déjà ses croyances, c’est-à-dire les pratiquants de sa propre communauté spirituelle. En effet, ces personnes n’ont pas à changer de mode de pensée pour comprendre et croire en l’efficacité des techniques proposées par le praticien. Dans tous les cas, il faut respecter la liberté de conscience de chacun et ne pas affirmer détenir la vérité (voir chercher à l’imposer) dans un domaine, qui relève de la croyance.

Extrait du Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde fait dire à Lord Henry Wotton :

« – Il n’y a pas de bonne influence, Mr Gray. Toute influence est immorale – immorale d’un point de vue scientifique.
– Pourquoi donc ?
– Parce que influencer une personne, c’est lui donner son âme. Elle ne pense plus ses propres pensées, elle ne brûle plus de ses propres passions. Ses vertus n’ont plus d’existence propre. Ses péchés, pour autant que le péché existe, sont empruntés. Elle devient l’écho de la musique d’un autre, elle joue un rôle qui n’a pas été écrit pour elle [1]

O. Wilde, Le portrait de Dorian Gray, Gallimard, Pléiade, 1996