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Le texte étudié dans cet article est une traduction des maximes de Ptahhotep par l’égyptologue français Bernard Mathieu, maître de conférence à l’université Paul Valéry Montpellier III. Celle-ci a été réalisée à partir du papyrus Prisse d’Avennes conservé à la BNF (bibliothèque nationale de France). Ce document a été rapporté d’Égypte en 1844 par Emile Prisse d’Avennes, après une campagne de fouilles au sein de la nécropole de Dra Abou-el-Naga sur la rive occidentale de Thèbes, à l’entrée du site de Deir-el-Bahari. Remarquablement bien conservé, ce papyrus mesure 7 m de long et 15 cm de large. Daté d’environ – 1900 avant J.-C., soit la période du Moyen Empire, il est l’un des plus anciens manuscrits connus au monde. Il est composé de deux traités de morale :
– les préceptes de Kagemini, vizir de Houni et de Snéfrou,
– les maximes de Ptahhotep, vizir de Djedkarê Isesi.

Ce texte est considéré comme pseudépigraphe par les égyptologues, dont Bernard Mathieu. C’est à dire qu’il est attribué fictivement à Ptahhotep, un personnage historique et réel de l’Ancien Empire, alors que la rédaction du texte est largement postérieure à sa mort et qu’il n’en est vraisemblablement pas l’auteur. Il existe d’autres textes antiques dans ce cas. L’extrait, qui est l’objet d’étude de cet article, est l’avertissement liminaire situé juste avant les trois premières maximes, qui parlent de l’art du débat. Notez que ce texte est considéré comme la maxime n°1 dans les traductions d’autres auteurs, comme par exemple Christian Jacq.

Voici le texte :

Il s’adressa ainsi à son fils : « Ne t’enorgueillis pas d’apprendre, prends conseil de l’ignorant comme du savant. On n’atteindra jamais les limites de l’art, aucun artisan n’est muni de tout son potentiel. Le beau langage se dissimule plus encore que l’émeraude, on peut le trouver jusque chez les servantes qui travaillent aux meules. »


L’Enseignement de Ptahhotep, Bernard MATHIEU

1° Préférer la modestie à l’orgueil

Dans ce texte, le locuteur adresse à son fils un avertissement, qui est aussi un conseil. Le passage étudié débute avec : « Ne t’enorgueillis pas d’apprendre ». Penchons-nous quelques instants sur le sens du verbe enorgueillir.

Enorgueillir
Larousse: Rendre quelqu’un orgueilleux, le flatter dans sa vanité.
Robert : Rendre orgueilleux, flatter (qqn) dans sa vanité.

Ces définitions nous invitent à nous pencher sur le sens du mot orgueilleux et plus précisément sa racine orgueil, mais également celui de vanité.

Orgueil
Larousse: Sentiment exagéré de sa propre valeur, estime excessive de soi-même, qui porte à se mettre au-dessus des autres.
Robert : Opinion très avantageuse qu’une personne a de sa propre valeur aux dépens de la considération due à autrui

Vanité :
Larousse :Défaut de quelqu’un qui étale sa satisfaction de soi-même.
Robert : Défaut d’une personne vaine, satisfaite d’elle-même et étalant cette satisfaction.

Dans le cas de l’orgueil, la personne est intérieurement satisfaite d’elle-même et se considère supérieure aux autres. Dans le cas de la vanité, cette auto-satisfaction s’exprime à l’extérieure et conduit l’individu à rechercher l’approbation et l’admiration des autres. Ici le locuteur invite son fils à faire preuve de modestie ou d’humilité en ce qui concerne l’acquisition de connaissances, c’est à dire apprendre. Cette idée est renforcée par la phrase qui suit : «prends conseil de l’ignorant comme du savant ». Pour prendre conseil, il faut savoir écouter sans juger, ni couper la parole à son interlocuteur. Il est nécessaire de se mettre à sa portée et de le considérer avec respect quelque soit son rang social et/ou l’éducation qu’il a reçu.

Ce premier passage nous apprend que dans la culture égyptienne ancienne, l’humilité, la modestie, l’écoute et la considération portée à l’autre sont des valeurs importantes.

2° Excellence, maîtrise et perfection

La suite du texte nous parle des « limites de l’art » et du « potentiel » d’un artisan. Le mot art ici n’est pas employé seulement pour désigner les disciplines artistiques du domaine des beaux arts ou des arts plastiques, mais selon la définition du Larousse : «  toute activité, toute conduite considérée comme un ensemble de règles, de méthodes à observer. » Par exemple, le tir à l’arc est un art au même titre que la cuisine, l’écriture, la navigation ou la poterie. Avec la phrase, « on n’atteindra jamais les limites de l’art », l’auteur indique à son fils que l’être humain ne peut atteindre la perfection ou arriver au bout des possibilités de son activité. Quant au passage « aucun artisan n’est muni de tout son potentiel », il insiste sur cette même idée qu’aussi talentueux soit-il aucun humain n’est capable d’arriver au bout des ressources et des possibilités de développement, dont il peut disposer en théorie ou en puissance. Il est donc toujours possible d’apprendre et de progresser, même dans un domaine que nous pensons maîtriser. L’excellence n’est pas un prétexte pour se montrer vaniteux, cesser d’écouter et de s’instruire auprès de tous et à tout moment.

Apprendre, selon la culture égyptienne ancienne, est donc un processus constant et sans limites, qui se poursuit à tout moment de la vie et en toute occasion.

3° Parole juste et pragmatisme

Nous terminerons enfin avec ce passage : « Le beau langage se dissimule plus encore que l’émeraude,on peut le trouver jusque chez les servantes qui travaillent aux meules. » Notez que Bernard Mathieu a traduit ici le terme nefer par beau, dans « le beau langage » alors que Christian Jacq a préféré « la parole parfaite ». En effet, le terme nefer (nfr), utilisé dans le texte original en hiéroglyphes, peut autant signifier beau, excellent, impeccable, bon que parfait. Nous pourrions donc aussi dire le langage impeccable. Pour les anciens égyptiens, il est aussi important de savoir écouter, que de parler à bon escient. Avoir les mots justes est pour eux aussi rare que de trouver une pierre précieuse, comme l’émeraude. Cependant, ce n’est pas toujours le rang social, ni l’éducation qui permette de la concevoir puisqu’il est possible de trouver « le beau langage » auprès des servantes qui œuvrent à la meule. Celles-ci représentent le plus bas niveau de l’échelle sociale, mais pas seulement. L’auteur présumé, le vizir Phtahhotep, et le public auquel il s’adresse sont des lettrés, qui ont appris à lire et à écrire, des activités intellectuelles. Les servantes ici évoquent par opposition l’activité manuelle, concrète et pratique, comparée à celles abstraites des scribes et des fonctionnaires. Le locuteur invite le lecteur à demeurer dans le concret et à être pragmatique, c’est aussi là que peut être conçue et expérimentée la « parole parfaite ».


Pour conclure, ce premier passage extrait des maximes de Ptahhotep est déjà riche d’enseignements sur les valeurs de la culture égyptienne ancienne. Pour l’auteur du texte, il est important de parler peu mais bien, d’être modeste, d’avoir de la considération et du respect pour autrui, d’apprendre tout au long de sa vie, de savoir écouter sans juger, d’être concret, efficace et pragmatique. Dans le cadre de la spiritualité netjeriste, ces écrits nous donnent de la matière pour alimenter à la fois notre réflexion sur les valeurs de la tradition polythéiste égyptienne (donc aussi du netjerisme) et comment nous pouvons envisager de les appliquer dans nos vies aujourd’hui. Enfin, ces enseignements témoignent de l’application du concept de la Maât dans la vie quotidienne des anciens égyptiens. En effet, ce dernier est parfois difficile à cerner dans notre monde moderne.

Rédigé par Irminlinde aka Sopdetmouti, 17 février 2024

Vocabulaire important du texte : pseudépigraphe, nécropole, Moyen Empire, préceptes, maximes, liminaire, orgueil, vanité, considération, humilité, modestie, pragmatisme, netjerisme

Auteurs cités : Bernard Mathieu, Christian Jacq

Bibliographie :

– L’Enseignement de Ptahhotep, Bernard MATHIEU, Université Montpellier 3 Paul-Valéry, février 2013
– Les maximes de Ptah-Hotep: L’enseignement d’un sage au temps des pyramides, Christian Jacq, Maison de vie éditeur, 2016
– Les maximes de Ptahhotep, Zbyněk Žába, Académie tchécoslovaque des Sciences, 1956