Il y a quelques années, je me suis plongée dans le développement personnel avec beaucoup d’attentes et d’enthousiasme. Comme beaucoup, j’y cherchais des clés pour mieux vivre, mieux me connaître, avancer malgré mes failles (deuils familiaux précoces, problèmes de santé, agression, dépression…) et réussir ma vie. Dit comme ça, ça sonne un peu cliché, je le reconnais. Certains outils m’ont aidée. Mais peu, comparé à tout ce que j’ai expérimenté et à ce que j’y ai investi : temps, énergie, argent… et surtout espoir. Pire encore, certains aspects ont été franchement toxiques. Ce n’est pas facile à avouer. Le sujet est sensible, auréolé de promesses de bonheur et de liberté.Le développement personnel a été un véritable eldorado dans les années 2010 et au début des années 2020, mais depuis, les voix critiques commencent enfin à se faire entendre.
Les voix des déçus, elles, sont trop souvent ignorées, étouffées, dénigrées, parfois même raillées. Et c’est bête, et cruel : parce que si l’on arrive dans ce milieu, c’est justement à cause de problèmes, de failles, de souffrances — plus ou moins importantes selon les cas. Et se moquer de quelqu’un en souffrance, ce n’est jamais une preuve d’intelligence, plutôt de mépris. Et il n’y a aucune raison d’être fier d’être méprisant.
L’individualisme au cœur du discours

Le développement personnel repose sur une logique très individualiste. Vous connaissez les expressions : « travailler sur soi », « prendre soin de soi », « investir sur soi »… En soi, rien de condamnable. S’occuper de soi est même nécessaire. Le problème commence quand cela prend toute la place, quand tout devient centré sur soi au point de minimiser, voire d’occulter le reste. Sur le papier, cette démarche paraît libératrice. Dans la pratique, elle peut devenir enfermante, en incitant à vivre en mode « autocentré ». Autre dérive : le côté culpabilisant de certains raisonnements : « Si tu souffres ou échoues, c’est parce que tu ne travailles pas assez sur toi, tu n’as pas fait ceci ou cela… ». Si je n’avance pas assez vite, c’est parce que je ne me suis pas assez engagée. Si telle méthode ne marche pas, c’est que je n’y crois pas assez fort. Dans ce système de pensée, quand quelqu’un échoue, il est presque toujours pointé comme seul responsable, au nom de la croyance selon laquelle nous serions « maîtres de notre existence ». Cette idée selon laquelle chaque être humain serait un petit « dieu » ou une petite « déesse » capable de tout contrôler dans sa vie est non seulement irréaliste, mais franchement prétentieuse. Chercher à tout maîtriser est une quête impossible. Personne ne peut échapper aux coups durs de la vie, aux imprévus, ou aux accidents.
L’affirmation selon laquelle nous serions les seuls artisans de notre succès, ou de notre échec, est une illusion dangereuse qui mène à la frustration et à la honte plutôt qu’à la confiance en soi.
irmine

Avec une telle logique, la confiance en soi se détruit plus qu’elle ne se construit, surtout quand les personnes qui suivent ces méthodes échouent malgré leurs efforts. Cela crée un cercle vicieux. La quête incessante de la « meilleure version de soi » finit par ressembler à une quête de performance, avec ses exigences et sa pression permanente, plutôt qu’à un chemin d’épanouissement et de paix. Paradoxalement, il y a des gens, qui aboutissent à des burn out ou à des dépressions, à cause de ses méthodes censées apporter le bien-être et la réalisation de soi. Avec le recul, j’ai compris maintenant qu’à certains moment, ce fut mon cas. Au lieu de m’aider, la pression d’aller mieux à tout prix m’a enfoncée la tête sous l’eau, plus qu’elle ne m’a aidé.
Ce qu’il faut retenir, c’est de ne pas tomber dans l’excès et de maintenir l’équilibre. Prendre soin de soi, c’est important, mais sans oublier les autres et la société dans laquelle nous vivons. Cette démarche n’a de sens que si l’on accepte que l’on ne peut pas tout maîtriser. Que le changement fait partie de la vie. Que la diversité du monde et de nos expériences peut nous surprendre. Et que parfois, échouer fait aussi partie du chemin. En cela, les leçons des traditions polythéistes, qui enseignent le respect des cycles de vie, de mort et de renaissance, offrent une sagesse souvent plus profonde que celle véhiculée par la « loi d’attraction ». Elles rappellent que le chemin de la vie est un équilibre entre effort, acceptation et transformation, plutôt qu’une simple succession de techniques pour atteindre la « meilleure version de soi ».
Des causes sociales oubliées
Un des grands angles morts du développement personnel, c’est son incapacité à prendre en compte les causes sociales, politiques et économiques de la souffrance. On nous apprend à méditer pour « mieux gérer le stress », mais si ce stress provient de conditions de travail injustes, d’inégalités sociales ou de choix politiques, aucune affirmation positive ne résoudra la racine du problème. Parfois, il est même conseillé de se couper des actualités pour éviter l’anxiété qu’elles peuvent provoquer. Cela peut être utile si l’on consulte les informations plusieurs fois par jour. Mais c’est un mauvais conseil si cela vous enferme dans une bulle, déconnecté du monde et de ce qui se passe autour de vous pendant des semaines, voire des mois, au point de ne même plus participer même à la vie locale. Car le monde continuera de bouger sans vous, voire même peut-être contre vous.
S’occuper de soi ne doit pas faire oublier que nous sommes aussi des citoyens. Se préoccuper de politique, de justice sociale, et des choix qui façonnent nos sociétés est tout aussi essentiel. Croire que l’on peut changer le monde simplement en se changeant soi-même est une illusion. En réalité, le changement exige d’agir à la fois individuellement et collectivement. L’un ne va pas sans l’autre
Un marché du bien-être
Le développement personnel est devenu un marché colossal, où tout se monnaye : livres, séminaires, coaching, retraites, objets… Les outils censés nous aider à ‘réussir sa vie’ se multiplient, transformant même la souffrance en une ressource monétisable. Un échec ou une douleur personnelle peut ainsi être recyclé en livre, en contenu sponsorisé ou en ‘méthode pour s’en sortir’. Cette marchandisation s’accompagne d’une argumentation commerciale bien rodée. Certaines approches, comme le Reiki ou le coaching haute-de-gamme… justifient le paiement en prétendant qu’il ‘engage’ la personne dans son processus. C’est vrai, l’argument a du poids. En facturant des centaines d’euros la séance, on s’assure que seuls les plus motivés (et les plus aisés surtout) y auront accès. Et les plus démunis ? Cette logique élitiste ne s’encombre pas des gens, qui n’ont pas les moyens financiers de s’engager, alors qu’ils en ont tout autant, voir plus besoin d’aide ou de solutions. Finalement, le bien-être est devenu une marchandise comme une autre, et l’expérience humaine une ressource exploitable au même titre que du pétrole, du café ou du bétail.
Cette course aux solutions payantes soulève des questions essentielles : le véritable bien-être ne serait-il finalement accessible qu’à ceux qui ont le privilège de se l’offrir ? Peut-il s’acheter, ou réside-t-il dans un cheminement intérieur libre de toute transaction ?
Entre science et croyances
Autre problème : beaucoup d’influenceurs ou de thérapeutes affirment détenir des
« méthodes infaillibles », mais se basent surtout sur leur propre expérience, forcément limitée et subjective. Leur rapport à la science est ambivalent : tantôt elle est critiquée et rejetée (le méchant Big Pharma…), tantôt brandie comme caution d’autorité. Et souvent, la frontière entre développement personnel et spiritualité devient poreuse. Certains mélangent les deux et transmettent, consciemment ou non, des croyances personnelles, parfois sous forme de prosélytisme inconscient. La spiritualité se trouve alors réduite à un simple outil, une méthode de plus dans la quête du bonheur, ou pire encore : une recette magique pour atteindre la « meilleure version de soi ». Je vous renvoi par exemple à l’article sur mon âme choisit sa réincarnation, qui en est un bon exemple. On peut entendre ce genre de discours chez des thérapeutes alternatifs pour expliquer des chemins de vies difficiles, sauf que ce n’est pas scientifique, ni médicale, mais une croyance issu de doctrine religieuse ou spirituelle. Allez vous chez votre médecin ou votre psychologue pour qu’il vous convertisse à une autre religion ou spiritualité ? Vous trouveriez cela choquant, non ? Non éthique ? (voir l’article, Coachs, thérapeutes spirituels et prosélytisme inconscient… )
Un autre élément largement sous-estimé dans l’univers du développement personnel et des thérapies alternatives, c’est l’effet placebo. De nombreuses pratiques semblent « marcher » surtout parce que la personne y croit, parce qu’elle se sent écoutée, accueillie, ou simplement parce que son état aurait évolué de toute façon avec le temps. Les études scientifiques montrent que cet effet, ainsi que les facteurs contextuels de la prise en charge, peuvent avoir une influence significative sur notre ressenti. Il ne s’agit pas de magie, mais d’une réaction psychologique et neurobiologique du corps. Le cadre compte énormément : le ton rassurant d’un praticien, une ambiance apaisante, une écoute réelle et attentive peuvent suffire à produire un mieux-être concret, en déclenchant par exemple une production d’endorphines, les molécules du bien-être. Cet effet est réel et peut réduire la douleur ou l’anxiété.
J’en ai moi-même fait l’expérience avec mes migraines chroniques. J’ai consulté deux spécialistes très différents : la première, neurologue, était froide et mettait en doute mon vécu, réduisant mes symptômes à du « psychologique ». Je venais chez elle stressée et n’osais plus m’exprimer, pour elle je semblais un cas « insoluble », car aucun traitement de fond ne fonctionnait sur moi. La seconde, médecin algologue dans un centre anti-douleur, a pris le temps de m’écouter avec douceur et respect. Avec elle, je me sentais en confiance, libre de parler de mes crises sans crainte d’être jugée. Elle m’a aidé à en comprendre leur déclenchement et a trouver des solutions pour vivre « avec » à défaut de pouvoir m’en débarrasser complètement. Ce contraste m’a montré à quel point la qualité de l’accueil et de l’écoute peut avoir un impact aussi fort que la prise en charge médicale elle-même, car grâce à elle, la prise en charge de mes crises a progressé. Et aujourd’hui, je n’en ai d’ailleurs presque plus. Il n’y avait rien de magique là-dedans, juste de l’humain.
Le problème survient lorsque ces bénéfices, qui proviennent en réalité du cadre et du relationnel, sont attribués à la méthode elle-même. Dans un milieu où les preuves scientifiques sont souvent mises de côté, il est facile de confondre l’effet d’une écoute bienveillante, d’un cadre apaisant avec la prétendue efficacité d’une technique payante. À cela s’ajoute que de nombreux thérapeutes, même de bonne foi, mettent en avant uniquement des témoignages positifs, qui servent de vitrine commerciale. Les expériences négatives, elles, sont souvent minimisées, ignorées ou discréditées. Pire : la responsabilité est parfois rejetée sur la personne elle-même. Si cela n’a pas fonctionné, c’est qu’elle « n’y croyait pas assez », qu’elle « ne s’est pas suffisamment investie » ou qu’elle a « résisté au processus ». Bref, la méthode n’est pas remise en question, mais l’individu, oui par contre !
Cette absence d’évaluations sérieuses, de suivi à long terme et d’autocritique alimente un cercle vicieux : les illusions perdurent, les échecs sont invisibilisés, et la responsabilité est déplacée vers ceux qui souffrent déjà.
Un luxe occidental
Le développement personnel est un luxe, une préoccupation typiquement occidentale. Réservé à ceux qui en ont les moyens et le temps, il ignore les réalités quotidiennes des classes populaires et des pays en développement. Pour ces populations, les urgences de la survie (se loger, se nourrir, se soigner) ne laissent aucune place à la quête de soi telle qu’elle est vendue aujourd’hui. Cette contradiction est frappante : un univers qui se prétend spirituel et libérateur, mais qui est en réalité profondément matérialiste et élitiste. Certains adeptes (pas tous) font de véritables boulimie de livres, de stages, d’objets, de services, comme si leur bonheur, leur sérénité ou leur épanouissement personnel dépendaient mortellement de cette quête sans fin de « maitrise de soi ». C’est une logique qui exclut, une spiritualité qui a un prix. Pire encore, cette logique mercantile s’approprie des éléments d’autres cultures, de pays souvent plus pauvres, rarement à leurs avantages. Cérémonies de cacao, chamanisme, pierres de soins en lithothérapie venus de mines exploitant des enfants ou huttes de sudation sont transformées en produits de consommation pour touristes spirituels.

Conclusion : sortir de l’illusion
Le développement personnel n’est pas à jeter en bloc. Certains outils peuvent réellement aider à mieux se connaître, et c’est un chemin qui peut être précieux. Mais il est nécessaire d’en voir aussi les limites, les impasses et les dérives. Non, on ne se sauve pas seul, et non, on ne change pas le monde uniquement en « travaillant sur soi ». Le bien-être individuel et le changement collectif sont indissociables. C’est à cette condition qu’on peut, peut-être, trouver une voie plus juste : ni course à la performance, ni recette miracle, mais un chemin d’humanité partagée, loin des diktats du marché, qui respectent les êtres humains, l’environnement et les différentes cultures.
Poursuivre la réflexion :
– chaîne youtube et Podcast, Méta de Choc
– la chaîne youtube de Julie Rideau, qui a quitté le développement personnel d’influence NEW AGE