L’idée selon laquelle notre âme choisirait sa vie avant de naître, y compris les épreuves que nous traversons, est largement répandue dans la mouvance New Age. Cette vision suggère que chaque individu a décidé des difficultés qu’il rencontrera dans le but de « grandir spirituellement ». Si cette croyance peut sembler réconfortante pour certains, elle soulève de sérieuses questions éthiques et philosophiques. En effet, elle tend à culpabiliser les victimes, à minimiser l’influence des structures sociales, à justifier l’inaction face aux injustices et à dépolitiser des problématiques essentielles. Cet article explore les origines de cette croyance, ses distinctions avec les traditions orientales du karma et ses effets néfastes sur la perception de la souffrance humaine.

A. Origines et sources de cette croyance dans le New Age
L’idée que l’âme planifie sa réincarnation n’est pas issue des traditions orientales, mais trouve ses racines dans le spiritisme moderne et la théosophie.
- Allan Kardec (XIXe siècle) a popularisé l’idée que l’âme choisit sa prochaine vie pour expier des fautes passées ou apprendre certaines leçons.
- Helena Blavatsky, fondatrice de la théosophie, a introduit des concepts de karma et réincarnation mêlant hindouisme, occultisme et spiritisme occidental.
- Plus récemment, des auteurs comme Michael Newton ou Brian Weiss ont popularisé cette idée à travers des régressions sous hypnose, présentées comme des preuves que l’âme choisit sa vie avant la naissance.
Un malentendu sur le karma
Dans le New Age, le karma est souvent perçu comme un choix personnel préalable, alors que dans les traditions orientales, il est plutôt vu comme un enchaînement causal impersonnel. Cette confusion mène à une responsabilisation exagérée des individus pour des événements, qu’ils ne maîtrisent pas.
B. Différence avec le karma dans l’hindouisme et le bouddhisme
1. Le karma : une loi de causalité, pas un choix conscient
Dans les traditions orientales :
- Hindouisme : le karma est le résultat des actions passées, mais la renaissance n’est pas un choix prémédité.
- Bouddhisme : il n’y a pas d’âme (âtman) qui choisit une incarnation, mais un processus d’interdépendance qui conditionne la renaissance.
- Dans les deux cas, l’idée est plutôt de se libérer du cycle des renaissances (moksha, nirvana) que d’y participer activement en « choisissant » sa prochaine vie.
2. Une vision déformée par le New Age
Le New Age présente souvent le karma comme une opportunité d’évolution personnelle, alors qu’il est conçu comme un poids dont on cherche à se libérer. En faisant du karma un « choix », on occulte la part d’inévitable et d’imprévu dans la vie.
C. Les effets négatifs de cette croyance
1. Culpabilisation des victimes
Si l’on adhère à l’idée que chaque épreuve a été choisie par l’âme, cela implique que les victimes sont responsables de leurs souffrances. Vous comprenez le problème ?
- Une femme violée a-t-elle « choisi » d’être agressée pour « apprendre une leçon » ?
- Une personne atteinte d’une maladie grave est-elle responsable de son propre sort ?
Cette vision peut conduire à une double peine : souffrir d’un événement traumatisant, puis être culpabilisée pour l’avoir « voulu ».
2. Négation des influences sociales et systémiques
La croyance en une réincarnation choisie minimise les réalités sociales :
- La pauvreté, la discrimination, les conflits ne sont pas de simples « leçons karmiques ».
- Expliquer les inégalités par des « choix d’âme » déresponsabilise ceux qui ont le pouvoir d’agir contre ces injustices et dépolitise ces sujets.
- Si un enfant naît dans un pays en guerre, ce n’est pas un « choix » mais une réalité issue de l’histoire et des structures politiques.
3. Justification de l’inaction
Si chacun « choisit » sa vie, pourquoi aider ceux qui souffrent ? Cette croyance peut conduire à :
- Un rejet de la solidarité et de l’empathie.
- Une banalisation des injustices (« il l’a choisi, donc inutile d’intervenir »).
- Une attitude fataliste, contraire aux principes d’engagement et de compassion.
4. Manipulation spirituelle
Certains groupes spirituels utilisent cette idée pour justifier des abus, culpabiliser les gens et leur suggérer d’utiliser leurs méthodes pour « évoluer » ou « guérir » :
- « Si tu souffres dans cette relation, c’est que ton âme l’a voulu. »
- « Accepte ta douleur, c’est une épreuve choisie par ton âme. » Cette rhétorique permet de maintenir des personnes sous emprise, en leur faisant croire que toute souffrance est nécessaire et inévitable.
5. Idéologie libérale individualiste et new age
Ce concept s’inscrit également dans le cadre plus large de l’idéologie libérale individualiste, qui met l’accent sur l’autonomie personnelle et le succès individuel. Dans cette vision, les réussites, souvent illustrées par les figures emblématiques des « self-made men », sont perçues comme des résultats d’efforts personnels, tandis que les échecs sont souvent attribués à un manque de volonté ou d’initiative. Ce récit, qui célèbre l’individu comme l’architecte de son destin, tend à ignorer les influences extérieures, telles que les inégalités socio-économiques, les discriminations systémiques ou les aléas de la vie qui peuvent entraver le chemin vers le succès.
Conclusion
Le New Age a tendance à simplifier et individualiser des concepts complexes pour les rendre plus attractifs :
- Il transforme des lois impersonnelles (karma, samsara) en outils de développement personnel.
- Il remplace la notion d’effort spirituel par une quête de « manifestation immédiate ».
- Il s’adapte aux valeurs modernes d’autonomie et de puissance individuelle, alors que les traditions orientales mettent l’accent sur le détachement et l’humilité.
Cette idée nie la réalité de la souffrance en tant qu’expérience découlant de circonstances extérieures, souvent imprévisibles et échappant au contrôle de l’individu. En soutenant que chaque épreuve est le fruit d’un choix spirituel antérieur, cette croyance dénature la complexité des traumatismes vécus, les réduisant à de simples « leçons » ou « apprentissages » destinés à une évolution personnelle. Une telle simplification ignore la profondeur et la nuance des expériences humaines, ainsi que le poids émotionnel et psychologique que ces épreuves peuvent engendrer.
En ne reconnaissant pas l’impact réel de la souffrance, cette perspective néglige également la nécessité d’un soutien empathique et d’une justice réparatrice. Les victimes de violence, de discrimination ou de catastrophes naturelles n’ont pas seulement besoin d’être entendues ; elles nécessitent un accompagnement et des ressources concrètes pour guérir et reconstruire leur vie. En attribuant la responsabilité des souffrances à l’individu, cette croyance le plonge dans un sentiment d’isolement profond, où il se sent accablé par une honte injustifiée. De plus, cette vision peut également créer un climat où l’individu se sent contraint de minimiser ses douleurs, par peur d’être jugé ou de passer pour une victime passive. En conséquence, il peut se voir empêché de chercher des solutions concrètes et réalistes à sa souffrance, se concentrant plutôt sur une quête individualiste de compréhension spirituelle qui ne répond pas à ses besoins matériels et émotionnels.
En dépolitisant certains sujets comme les inégalités sociales, on empêche les individus d’agir collectivement en réduisant les conséquences des inégalités à des problèmes individuels et non à des problématiques de société.
Vocabulaire :
Dépolitiser : Action de retirer la dimension politique d’une chose, d’un sujet, d’une cause ou d’ôter la conscience politique d’un individu.
Causalité : Rapport de la cause à l’effet, l’influence par laquelle un événement, un processus, un état ou un objet (une cause) contribue à la production d’un autre événement, processus, état ou objet (un effet) considéré comme sa conséquence.
Systémique : Qui est relatif à un système dans son ensemble, qui étudie tout phénomène comme un ensemble complexe d’interactions.
Le Dr Michael Newton est un psychothérapeute américain spécialisé dans les régressions pour soigner les traumas, techniques controversées notamment à cause du problème des faux-souvenirs.
Brian Weiss est un psychiatre américain. Ses recherches portent sur la réincarnation, les vies antérieures et la survie de l’âme après la mort.