L’essor des réseaux sociaux a profondément changé la façon de communiquer et d’échanger en ligne des néo-païens. Alors que le web 2.0 favorise l’individualisation de la parole, notamment par le biais de profils personnels, de publications instantanées et de la performance visuelle, il a également transformé les dynamiques communautaires et la construction collective. Ce texte est une tentative d’analyse des changements qui ont eu lieu après 2010 et un appel à redéfinir nos espaces d’expression. Comment la parole néo-païenne, portée par une pluralité de voix et d’histoires, a-t-elle évolué avec l’émergence des médias sociaux tels que Facebook, Instagram, TikTok ? Et comment pouvons-nous réinventer une parole collective, plus ancrée et durable, dans un monde où l’instantanéité semble primer ?
Cette question est essentielle car l’instantanéité des réseaux sociaux, bien qu’elle facilite les échanges rapides, fragilise une parole collective durable. Dans ce flux continu, où tout est réagi et partagé sur le moment, il devient difficile de maintenir une parole qui traverse le temps et porte un véritable sens. Pour réinventer une parole collective, il est nécessaire de retrouver un équilibre entre réactivité et réflexion, entre instantanéité et profondeur. Cela implique de réinvestir des espaces d’expression qui permettent des échanges nourris, où les traditions et histoires partagées peuvent se déployer dans la durée, loin de la superficialité des réactions immédiates.

Agora de païens antiques qui regardent tous leurs smartphones

Rappel historique de l’évolution du web païen

Entre 1999 et 2010, plusieurs espaces ont marqué cette période et contribué à l’émergence d’une parole communautaire néo-païenne en ligne. Sorcellerie.net (1999) fut l’un des tout premiers forums et sites d’information sur l’ésotérisme, tandis que Les Portes du Sidh (2002) proposaient un espace structuré autour de la Wicca. En 2004, l’association LAPF (Libre Assemblée Païenne Francophone) voyait le jour pour favoriser le dialogue intertraditionnel, tandis qu’Alliance Magique, à la fois boutique et forum, participait à la diffusion d’ouvrages et de ressources. La même année, Ta Noutri s’imposait comme un site et un forum de référence autour du khémitisme, puis du netjerisme. Côté druidisme, le forum Druuidiacto (2006) créait un espace d’échange entre pratiquants. Dans une dynamique wiccane plus affirmée, la Ligue Wiccane Eclectique lançait son forum et son webzine en 2007. Enfin, en 2008, le blog Discor-dianique d’Hedera proposait un regard personnel, incarné, sur les pratiques et réflexions d’une pratiquante contemporaine. (liste de sites non exhaustive)

Ces espaces n’étaient pas seulement des vitrines : ils étaient des lieux vivants d’écriture, de dialogue et de construction collective. On y partageait des textes, des expériences, des débats parfois vifs mais structurants. Le web était alors pensé comme un outil d’émancipation et de circulation des savoirs, où chacun·e pouvait prendre la parole, à sa manière, et inscrire sa voix dans un tissu collectif. Loin de la logique du profil et de l’algorithme, ces forums et sites créaient un environnement où la diversité des voix pouvait s’exprimer, s’entrelacer et se construire autour de projets communs.

Puis sont arrivés les réseaux sociaux. Et avec eux, une transformation radicale de notre rapport à la parole. L’architecture même du web 2.0 — flux continus, visibilité conditionnée par des algorithmes, primauté de l’instantanéité — a reconfiguré les conditions d’existence de la parole néo-païenne. On a assisté à une individualisation croissante des prises de parole, souvent réduites à des fragments, des images, des slogans, difficilement articulés entre eux. La logique du profil a remplacé celle du forum ; celle de la performance (être vu, obtenir des likes, gagner en notoriété ou en revenus) a supplanté celle du débat.

II. Fragmentation, superficiellisation et déshistorisation de la parole

L’entrée dans le web 2.0 s’est accompagnée d’un basculement profond de nos pratiques d’écriture et de lecture. Les plateformes sociales — comme Facebook, Instagram, TikTok ou encore YouTube — ne sont pas neutres : elles structurent notre manière d’exister en ligne, elles conditionnent ce qui peut être vu, lu, entendu. Le temps du post a remplacé celui de l’article, le fil d’actualité celui de la discussion suivie. C’est un monde du flux, où toute parole est aussitôt engloutie par la suivante.

Image représentant une païenne antique qui like un post sur un smartphone

Dans ce contexte, la parole néo-païenne a perdu en densité. Ce qui s’exprimait naguère sous forme de récits, de carnets de pratique (grimoires, blogs, témoignages communautaires, webzines, sites associatifs…), d’essais, se trouve désormais décomposé en contenus atomisés : une image de rituel par-ci, une citation inspirante par-là, une opinion tranchée lancée comme une évidence sur un post de trois lignes, un reel video de quelques secondes d’un rituel théâtralisé. L’algorithme favorise ce qui est simple, clivant, visuel. Il défavorise ce qui est complexe, nuancé, ancré dans le temps.

Ce faisant, la parole néo-païenne se trouve déshistorisée*. Les filiations disparaissent. Les sources ne sont plus citées. On ne sait plus si une pratique vient d’une tradition celte, d’un ouvrage wiccan ou d’une expérience personnelle. Tout se vaut, tout se mélange, tout flotte. Ce n’est pas la diversité qui pose problème ici, mais l’absence de cadre pour la penser, pour la nommer, pour en discuter ensemble.

Notes
Le terme « déshistorisé » désigne quelque chose qui a perdu son ancrage dans l’histoire, qui n’est plus mis en contexte ou qui a été coupé de ses racines temporelles et culturelles.

III. Une illusion de communauté, un désir de lien

Les réseaux sociaux promettent la communauté, mais ne l’organisent pas. Ils mettent en relation des individus sans construire un espace commun. On peut avoir des centaines de « contacts païens » sans jamais parler réellement avec eux. On s’observe, on se commente, parfois on s’affronte, mais rarement on co-construit. Là où les anciens forums permettaient des discussions longues, des archives accessibles, des projets collectifs, les plateformes actuelles encouragent la réactivité plutôt que la réflexion. Elles créent une illusion de lien, fondée sur la fréquence des interactions plutôt que sur leur qualité. L’autre devient un public ou un adversaire, rarement un interlocuteur. Et pourtant, le désir de lien est là. Il s’exprime dans les commentaires, dans les groupes, dans les tentatives de créer des espaces alternatifs. Ce que montrent les réseaux sociaux, c’est aussi une soif : celle de parler, de transmettre, de ritualiser ensemble, même à distance. C’est ce désir qu’il faut entendre, et nourrir autrement.

IV. Pour une réappropriation de nos espaces de parole

Il ne s’agit pas de déserter les réseaux sociaux, mais de les décentrer. De ne plus en faire l’unique lieu de notre parole. De réinvestir le web dans sa diversité : blogs, newsletters, forums auto-hébergés, publications collaboratives. Créer des lieux, pas seulement des profils. Cela suppose de repenser nos pratiques d’écriture. Prendre le temps d’un article plutôt qu’un post. Raconter, expliquer, documenter. Citer ses sources. Dire d’où l’on parle. Inviter à répondre, à discuter, à enrichir. Et cela suppose aussi de mutualiser : créer des revues, des espaces communs, des archives. Sortir de la logique de la performance individuelle pour retrouver celle de la construction collective.

Nous avons besoin de paroles incarnées, enracinées, reliantes. De paroles qui durent, qui laissent des traces, qui puissent être reprises. Ce travail demande du temps, de l’attention, de la solidarité. Il est politique autant que spirituel.

Conclusion — Reprendre la parole, ensemble !

Ce texte est une invitation à bifurquer. Non pour revenir en arrière, mais pour tracer un chemin à côté. Il ne s’agit pas de condamner en bloc le web 2.0, mais de le mettre en perspective, de s’outiller pour le traverser sans s’y perdre. La parole néo-païenne a toujours su s’inventer des formes propres, des manières singulières d’habiter le monde et de le dire. Elle peut, elle doit aujourd’hui se réapproprier le web comme un lieu de puissance, de mémoire et de création. Cela commence par une décision : ne plus laisser les algorithmes parler à notre place. Et par un geste simple : se remettre à écrire (ou s’exprimer sous d’autres formes), ensemble.

Pour réinventer une parole néo-païenne collective et durable, voici quelques pistes concrètes (liste non-exhaustive à vous de créer, réinventer !):

  • Créer des blogs et sites collaboratifs pour partager des réflexions approfondies et structurées.
  • Usage d’espaces de discussions autre que les réseaux sociaux connus et adaptés aux discussions longues et réfléchies, au travail collaboratif.
  • Lancer des revues collaboratives ou des webzines pour publier des articles, critiques et analyses.
  • Mettre en place des archives collectives pour préserver et partager les écrits, rituels et savoirs de la communauté.
  • Organiser des ateliers ou cercles de réflexion en ligne pour des échanges thématiques et profonds.
  • Développer des ressources éducatives en ligne pour transmettre les traditions païennes de manière réfléchie.
  • Sympathiser hors du web !

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