Vers 60/61 apr. J.-C., un événement tragique secoua les terres celtiques de Grande-Bretagne : la destruction du sanctuaire druidique d’Ynys Môn (Anglesey), haut lieu spirituel et politique de la résistance celte à l’Empire romain.

Une île-refuge celtique

Photo de Flash Dantz sur Unsplash – 2021 – USA

L’île d’Anglesey, appelée Mona par les Romains, est située au nord-ouest du Pays de Galles. Bien avant l’invasion romaine, elle était déjà un sanctuaire pour les druides. Elle servait de refuge à ceux qui fuyaient la domination romaine. À la fois centre religieux, culturel et politique, Ynys Môn accueillait des rituels, des rassemblements tribaux, et envoyait soutien et vivres aux combattants opposés aux romains sur le continent. Les Romains identifièrent très vite ce haut lieu spirituel comme une menace directe à leur pouvoir. Non pas tant pour des raisons mystiques, mais parce que les druides y représentaient une autorité morale et politique forte, capable de galvaniser la résistance des peuples celtes.

L’assaut de Suetonius Paulinus (60/61 apr. J.-C.)

En l’an 60 ou 61 apr. J.-C., le gouverneur romain Gaius Suetonius Paulinus lance une campagne militaire contre l’île. Il construit une flottille de bateaux à fond plat pour permettre à ses troupes de franchir les eaux peu profondes du canal de Menai. Tacite, historien romain, raconte que les soldats avancèrent en marchant ou à la nage à côté de leurs chevaux.

Après lui, les Bretons eurent pour gouverneur Paulinus Suetonius, que ses talents militaires et la voix publique, qui ne laisse jamais le mérite sans rival, donnaient pour émule à Corbulon. Lui-même songeait à l’Arménie reconquise, et brûlait d’égaler un exploit si glorieux en domptant les rebelles. (3) L’île de Mona, déjà forte par sa population, était encore le repaire des transfuges: il se dispose à l’attaquer, et construit des navires dont la carène fût assez plate pour aborder sur une plage basse et sans rives certaines. Ils servirent à passer les fantassins; la cavalerie suivit à gué ou à la nage, selon la profondeur des eaux.

Suetonius Paulinus occupe l’île de Mona (14,29-30) – Tacite, Annales, Livre XIV

Sur la rive les attendait une vision terrifiante :

L’ennemi bordait le rivage: à travers ses bataillons épais et hérissés de fer, couraient, semblables aux Furies, des femmes échevelées, en vêtements lugubres, agitant des torches ardentes; et des druides, rangés à l’entour, levaient les mains vers le ciel avec d’horribles prières. Une vue si nouvelle étonna les courages, au point que les soldats, comme si leurs membres eussent été glacés, s’offraient immobiles aux coups de l’ennemi. (2) Rassurés enfin par les exhortations du général, et s’excitant eux-mêmes à ne pas trembler devant un troupeau fanatique de femmes et d’insensés, ils marchent en avant, terrassent ce qu’ils rencontrent, et enveloppent les barbares de leurs propres flammes. On laissa garnison chez les vaincus, et l’on coupa les bois consacrés à leurs atroces superstitions; car ils prenaient pour un culte pieux d’arroser les autels du sang des prisonniers, et de consulter les dieux dans des entrailles humaines. Au milieu de ces travaux, Suetonius apprit que la province venait tout à coup de se révolter.

Suetonius Paulinus occupe l’île de Mona (14,29-30)Tacite, Annales, Livre XIV

Hommes, femmes et mêmes enfants participaient à cette ultime tentative de défense celtique et symbolique. Vêtus de noir, les femmes hurlaient des malédictions, tandis que les guerriers celtes s’alignaient pour une défense acharnée. Malgré cette résistance aussi mystique que militaire, les troupes romaines écrasent les défenseurs et commettent un véritable massacre. Les sanctuaires, bosquets sacrés et autels sont détruits. Les druides sont exécutés sans pitié. C’est l’anéantissement d’un des derniers bastions druidiques de l’Occident.

Sources photo personnelle Seren Eirian et Unsplash

Une défaite celte, mais pas une soumission

Cette attaque a été en partie motivée par la rumeur de mines de cuivre sur l’île, mais surtout par la volonté d’éradiquer un noyau actif de résistance. Ironie du sort : pendant que Paulin concentre ses forces sur Ynys Môn, une autre insurrection éclate plus au sud. La reine Bouddica, chef des Icènes, soulève les tribus et inflige aux Romains de lourdes pertes. Le massacre d’Ynys Môn a certes fait tomber le sanctuaire druidique, mais il a aussi provoqué une onde de choc politique qui a précipité la révolte la plus célèbre de l’histoire celtique de Grande-Bretagne.

Traces effacées, mémoire vivante et résistante

Il ne reste aujourd’hui que très peu de vestiges tangibles de cet événement. Les Romains ont détruit systématiquement les lieux et objets sacrés. Le souvenir d’Ynys Môn a survécu par la tradition orale, les légendes, et les écrits romains. Des sites comme Llyn Cerrig Bach gardent encore les traces d’un passé mystique que l’archéologie peine à faire revivre. Pour les polythéistes modernes, les druides d’Anglesey sont des figures emblématiques de la souveraineté spirituelle, du lien à la Terre, et de la résistance à l’impérialisme. Leur sacrifice reste un rappel puissant des dangers de l’uniformisation et de l’éradication culturelle.

Transmission, préservation de la mémoire des anciens

Le massacre d’Ynys Môn est un symbole fort de résistance. La défense de leurs bois sacrés, de leurs rituels et de leur culture inspire encore aujourd’hui ceux et celles qui refusent la domination, l’oubli et la déculturation. Rendre hommage aux druides d’Anglesey, c’est raviver une flamme qui continue de brûler dans les forêts de l’âme.

Sources

Vocabulaire de l’article

Déculturation : La déculturation est la perte ou l’altération de l’identité culturelle d’un peuple au profit d’une nouvelle culture. Ce terme s’applique aussi à un individu ayant émigré dans un autre pays, qui choisit volontairement ou qui est contraint de renoncer à sa culture.

Insurrection : Action de s’insurger ; soulèvement qui vise à renverser le pouvoir établi.

Malédiction : paroles par lesquelles on souhaite un sort néfaste à quelqu’un.

Sanctuaire : Lieu dans lequel on célèbre un culte. Lieux de culte.

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