Les illyriens, les celtes et les germains sont tous des peuples indo-européens. Ils ont en communs d’avoir vénérés les rivières et les sources, voir dans certains cas de les avoir divinisés. Enfant, j’ignorais ce fait. Et pourtant, spontanément lorsque j’avais du chagrin, je quittais le lieu-dit où nous vivions. Je traversais le champs qui bordait notre jardin, pour me rendre à la rivière en contrebas, l’Issoire. Auprès d’elle, je trouvais le calme, la paix et le réconfort dont j’avais besoin, comme auprès d’une mère. L’endroit me semblait aussi magique et enchanteur. Même si à cette endroit proche de sa source, l’Issoire ressemble plus à un ruisseau, qu’à une rivière. Elle avait le pouvoir et l’a encore de guérir mes peines. Il y a quelque chose de sacré et de respectable en elle. C’est auprès d’elle que j’ai su ou plutôt expérimenté dès l’enfance et concrètement, que ma spiritualité était liée à la nature. Je ne comprenais pas le besoin des adultes de s’enfermer dans une église pour approcher « Ce qui est divin », alors que cela est si accessible et évident dans la nature.
Le nom ancien de l’Issoire est Isara. Son nom vient de Isar, lui-même issu du proto-indo-européen *ish2ros. Il est généralement traduit par rapide, vif et impétueux. *ish2ros est issu lui-même du proto-indo-européen *eis.
Ce dernier a engendré dans différentes langues issus de l’indo-européen les mots suivants :
- irascible, irate, ire du latin īra (*eis-ā-), ensemble de mot désignant la colère ;
- hieratique, hiero-; hierarchie, hierodule, hieroglyphe, hierophante du grec hieros (*is-(ə)ro-) ayant pour sens sacré ou rempli du divin ;
- iron via le vieil anglais īse(r)n, īren, iron pour désigner le fer;
- gisarme (hallebarde), spiegeleisen du vieil allemand īsarn, īsan, iron (de *īsarno) pour métal sacré, peut-être via la langue celtique ;
- oestrus (chaleur de la femelle); oestrogène, estrone du grec oistros (*ois-tro-), au sens qui signifiait taon, aiguillon et au sens figuré tout ce qui cause la folie, l’excitation ou le désir.
- Asmodeus de l’iranien aēšma-, qui signifie colère.
- sanskrit iṣirá : rafraîchissant, frais, vigoureux, actif, rapide et florissant.
Je vous invite à consulter l’article d’Alexis Pinchard (Membre post-doc du CNRS, UMR 7528 « Mondes iranien et indien »), Du hieròs lógos à la raison : vertus d’un détour par l’Inde, qui vous apportera un bon complément d’informations à ce sujet.
Cette racine est l’origine du nom des rivières suivantes (liste non-exhaustive) :
– L’Issoire, affluent de la Boulogne (85 – Vendée)
– L’Isereau, affluent de l’Issoire (85 – Vendée)
– L’Isère, ruisseau des Landes Genusson (85-Vendée)
– L’Isac, rivière (44 – Loire Atlantique)
– L’Iseron, rivière (44 – Loire Atlantique)
– L’Issoire, rivière (16 – Charente et 87 – Haute-Vienne)
– Yzeron, affluent du Rhône
– L’Isère, rivière du département de l’Isère
– L’Oise, ancien nom Isara, affluent de la Seine,
– Eséra, rivière aragonaise, Espagne
– Lizerne, affluent du Rhône (Ardon, district de Conthey, Valais), Suisse
– Liseraz, ruisseau (District de Cossonay, Vaud), Suisse
– Isarco, cours d’eau du Nord de l’Italie, rivière de la vallée de l’Isarco où vivaient la tribu des Isarces / Isarciens associés aux Rhètes probablement celtes
– Isar, rivière en Bavière, affluent du Danube
– Isel, rivière en Autriche
– Ijssel (ancien nom Isala), rivière aux Pays-Bas, peut-être associée aux francs saliens…
– Jizera, rivière en République Tchèque
– Ijzer, rivière en Belgique
– Ostra, rivière en Tchéquie,
– Istros, nom grec antique du Danube
– (Éisra en Lituanie, Istras en Lettonie … à vérifier, liste non exhaustive)
Chez les celtes et les germains, ainsi que les illyriens (balkans), il y avait des sources, des fontaines ou des rivières sacrées, divinisées. Pensez par exemple au Danube aussi appelé Istros, Sequana (Seine), Matrona (Marne), Souconna (La Saône), Icauni (l’Yonne), Boand et la Boyne, Sionnan et la Shannon (Irlande), Aecorna en Panonie supérieure déesse d’un lac et patronne du trafic fluvial le long de la Ljubjanica (Slovénie), la rivière Save et le dieu Savus (affluant du Danube, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Serbie), etc.
C’est pourquoi tout naturellement Isara est devenue la première rivière divinisée et donc déesse de mon panthéon. Parce qu’elle est en effet à la fois une rivière de mes ancêtres, de mon enfance, de ma région ou de moins pagus, et aussi celle avec qui j’ai expérimenté en premier la rencontre avec « ce qui est divin » dans la nature.
Je l’associe visuellement aux Vénus à gaine de type Rextugenos (du nom du coroplaste Rextugenos, dont l’atelier était à Rennes), qui ont pu être retrouvées près de chez moi. Vous pouvez en admirer une par exemple à Nantes au Musée Dobrée.
Article publié initialement sur blog Irminlinde de Theiphalia, octobre 2022
Voir aussi :
- La Divinisation des rivières et la toponymie de Albert Carnoy, extrait de la revue L’Antiquité Classique, tome 20 fascicule 1, (1951) p. 103-106
- Du hieròs lógos à la raison : vertus d’un détour par l’Inde, Alexis Pinchard (Membre post-doc du CNRS, UMR 7528 « Mondes iranien et indien »)
- The American Heritage Dictionary of Indo-European Roots, Calvert Watkins, éditions Houghton Mifflin Harcourt
- Goddesses in Celtic Religion Cult and Mythology: A Comparative Study of Ancient Ireland, Britain and Gaul, thèse soutenue par Noémie Beck, Université Lumière Lyon 2 (2009), en partenariat avec le Centre d’analyses et de recherches sur le monde anglophone.
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