Au cours de mes recherches généalogiques, j’ai découvert qu’une partie de mes ancêtres très lointains venait des Balkans, plus précisément d’une zone comprenant la côte illyrienne (de l’Istrie à la Dalmatie) jusqu’à la Pannonie. Cette révélation fut une surprise, car les leçons d’histoire de mon enfance étaient concentrées sur « nos ancêtres les Gaulois » ou les Romains. Cette découverte a ouvert pour moi une porte sur une région et des peuples méconnus, dont l’histoire et les croyances m’étaient totalement étrangères. Cet article est le fruit de cette quête personnelle. Il ne prétend pas être une thèse historique, mais une compilation de recherches sur un espace et des divinités méconnues.
Partons ensemble à la découverte des divinités illyriennes, pour lesquelles les sources sont rares et fragmentaires. La majeure partie de ce que nous savons provient de sources indirectes : des mentions faites par des auteurs grecs ou romains, souvent succinctes et biaisées, ainsi que des inscriptions votives et des découvertes archéologiques. Il est donc difficile de reconstituer leurs mythes et leurs personnalités, mais ces traces nous offrent un aperçu d’une religion indo-européenne ancrée dans la nature et le culte des ancêtres.
Brève présentation de l’Illyrie
Située sur la rive orientale de l’Adriatique, l’Illyrie correspond aujourd’hui à des pays comme la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie et le Kosovo. Le peuple illyrien a commencé à se former à l’âge du bronze. Les Illyriens n’étaient pas un peuple unifié, mais divisés en plusieurs tribus ou clans, chacun avec sa propre structure sociale et ses propres chefs. À une certaine époque, elles s’unirent sous la direction d’un chef, mais sans grande continuité dynastique. Les Romains ont commencé à s’aventurer dans la région à partir de 229 av. J.-C., après un incident impliquant la reine illyrienne Teuta. Rome l’accusait de tolérer les pirates de Dalmatie, qui attaquaient ses navires marchands. Cet événement a déclenché les premières guerres d’Illyrie. La région fut finalement intégrée à l’Empire romain en 9 av. J.-C. et devint la province d’Illyrie, qui fut plus tard divisée en Pannonie et Dalmatie.

Les cultes illyriens
D’après les quelques sources que les historiens possèdent au sujet de la religion illyrienne, elle semblait profondément connectée à la nature et aux cycles de la vie.
Le culte solaire
Dès la préhistoire, les Illyriens vénéraient le soleil. Il était souvent représenté par des symboles géométriques comme la spirale, le cercle concentrique, et la croix gammée, ou des animaux comme les oiseaux, les serpents et les chevaux. Le philosophe grec Maxime de Tyr rapporte que les Paeoniens, une tribu illyrienne, adoraient le soleil sous la forme d’un disque au sommet d’un poteau. Des autels sacrificiels dédiés au culte solaire ont été découverts sur des sommets de montagnes, considérés comme des lieux de culte privilégiés.
«Les données recueillies par nos expéditions, les matériaux des archives d’ethnographie et du folklore publiés, nous révèlent que partout dans les régions montagneuses albanaises le soleil a été jadis pour tous un objet de vénération; on priait le matin à son lever, dans certains cas même à son coucher. Le soleil était adoré comme une source de vie, comme une source de santé, comme une source de fécondité et d’hérédité et comme une force protectrice et bénéfique. »
Extrait de Éléments des cultes illyriens chez les Albanais (Le culte du Soleil), article de Mark Tirtja

« Jusque dans un passé récent, on pratiquait encore dans les régions montagneuses du Sud et du Nord (de l’Albanie), le culte de certains lieux élevés et des sommets de montagnes vénérés comme «des sommets du soleil» que l’on honorait le matin au soleil levant. Dans bien des cas c’étaient des lieux où, à des dates fixes de l’année, se déroulaient des cérémonies qui se rattachaient au culte du soleil. »
Extrait de Éléments des cultes illyriens chez les Albanais (Le culte du Soleil), article de Mark Tirtja
Le serpent, gardien du foyer et des ancêtres
Dans la religion illyrienne, le serpent symbolise la fertilité de la terre, la protection du foyer et le culte des ancêtres. Il était étroitement associé au mythe de Cadmos et Harmonie, le couple divin qui, selon la légende, se serait transformé en serpents pour devenir les ancêtres fondateurs du peuple illyrien. Encore aujourd’hui, certaines croyances populaires dans les Balkans considèrent le serpent comme un protecteur de la maison contre le mal.
Le totémisme
Les Illyriens entretenaient une relation étroite avec la nature, qui se reflète dans leur système de croyances. De nombreuses tribus s’identifiaient à un totem, qu’il s’agisse d’un animal ou d’une plante. Des noms de tribus comme les Enchelei (« le peuple de l’anguille ») ou les Delmatai (« le peuple des moutons ») témoignent de cette profonde connexion avec la faune et la flore, où la nature et l’homme formaient un tout spirituel.
Le cavalier, un apport thrace
Le culte du cavalier thrace, figurant un chasseur à cheval, s’est répandu en Illyrie à l’époque romaine. Il témoigne des échanges culturels entre peuples voisins, où les divinités pouvaient être adoptées et intégrées au panthéon local, montrant que les religions anciennes n’étaient pas statiques, mais s’enrichissaient mutuellement.
Les divinités illyriennes connues (liste non-exhaustive)
Aecorna (ou Arquornia) : Déesse vénérée exclusivement dans le bassin d’Emona, dans les villes de Nauportus et Emona Aecorna. C’était vraisemblablement une déesse du lac ou une patronne du trafic fluvial, le long de la Ljubjanica, une rivière de slovénie.
Andinus : Dieu illyrien adoré parmi les Dardaniens en Mésie supérieure . La seule trace qui reste est un nom gravé sur un autel dédié par un bénéficiaire (« un étranger »).
Dei-pátrous : Il était un dieu vénéré à Tymphée comme le dieu père céleste. Son étymologie est en lien avec le * Dyēus-Ph₂tḗr, indo-européen. C’est donc un parent linguistique du védique Dyáuṣ Pitṛ́, du grec Zeus Patēr et du romain Jupiter. La tribu des Parthini adorait Jupiter Parthinus comme divinité principale.
En ou Enji : Dieu du feu et de la guerre, qui a donné son nom au quatrième jour de la semaine en albanais (e enjtë).
Iutossica et Anzotica : Déesses vénérées à Liburnia. Anzotica a été comparée à Vénus.
Laburus : Divinité locale vénérée à Emona. Son nom est inscrit sur un autel érigé à Fuzine, dans un site réputé dangereux pour la navigation, car situé près des rapides de la rivière Ljubjanica. Laburus peut donc avoir été une divinité protégeant les bateliers des rapides.
Medauros ou Armatos : Dieu de la guerre. Représenté comme un cavalier sur sa monture, avec une lance dans sa main gauche. Il est mentionné dans une dédicace à Lambaesis en Numidie par un légat romain originaire de la ville illyrienne de Risinium religion illyrienne.
Prenda, Prema ou Prende : Elle était la déesse de l’amour, de la fertilité et l’épouse du dieu du ciel et du tonnerre Perëndi.
Perëndi : Dieu céleste et du tonnerre, époux de la déesse Prenda. Il est apparenté étymologiquement au dieu thrace Perkos/Perkon, au dieu lituanien Perkūnas, au dieu letton Pērkons et proviendrait de la racine l’indo-européenne *Perkwunos.
Redon : Protecteur des marins. Des pièces de monnaies frappées à son effigie ont été retrouvées en particulier dans la ville illyrienne de Lissos, mais aussi à Daorson et de Scodra. Deux navires illyriens nommés d’après les principales divinités « Redon » et « Médaurus » sont mentionnés dans une inscription au cap Leuci (Italie).

Vidasus : Ce dieu fut comparé par les romains à leur Sylvanus. C’est un dieu des forêts et de la nature, mi-homme et mi-bouc. Son nom peut dériver de la racine de indo-européenne *widhu- (« arbre, forêt »). Dans les sources chaudes de Topusko (Pannonie supérieure), des autels sacrificiels étaient dédiés à Vidasus et Thana, dont les noms sont fréquemment associés. Selon les régions, il a pu être adoré sous d’autres noms comme Magla, Cor ou Messor. Certains rapprochent son nom de Cor avec celui du gaulois Cernunnos. Il fut semble-t’il un dieu important avant la période romaine et même après elle. Vidasus était vénéré au début de la saison lumineuse, fin avril-début mai. Les sculptures , qui le représentent, le montrent parfois accompagné de Thana ou entouré de jeunes filles dansant ou de nymphes, de fées de l’eau.
Thanas : Thanas fut comparée par les romains avec leur déesse Diane. Cette déesse est représentée accompagnée de trois chèvres aux cornes d’or. Elle vit dans les forêts et est associée à la fertilité.
Tadenus : C’est une divinité dalmate portant l’épithète d’Apollon dans des inscriptions trouvées près de la source de la rivière Bosna.
- Certaines divinités sont connues exclusivement d’Istrie, comme Nebres, Histria, Malesocus ou Boria.
Boria : un dieu de la montagne.
Melosok, Malesocus : dieu illyrien local, protecteur.
Boria : dieu du vent.
Nebra, Nebre : déesse des tempêtes et de la brume.
Histria : Déesse de la péninsule d’Histrie gouverne la terre d’Histrie et tous ses habitants.
- D’autres théonymes locaux de Liburnie et d’Istrie incluent Latra, Sentona, Bindus et la nymphe Ica.
Latra : (informations non trouvées).
Sentona : Déesse liée à l’agriculture. Son nom apparaît sur trois autels votifs découvert près de Labin. Le culte de Sentona semble avoir été important dans la zone entre Labin (Albona) et Plomin (Flanona), car un grand nombre d’autels votifs dédiés à cette déesse ont été retrouvés dans la région.
Ica ou Ika : déesse de la fertilité.
Bindus, identifié à Neptune, était vénéré parmi les Japodes comme la divinité gardienne des sources et des mers
Méconnaissance de l’Illyrie et informations peu accessibles
Le panthéon illyrien demeure un domaine d’étude passionnant, bien que notre connaissance soit limitée par le manque de sources écrites indigènes. Les récits fragmentaires des auteurs antiques et les inscriptions votives, souvent rédigées par des Romains, nous obligent à lire entre les lignes. Ces derniers ont d’ailleurs eu recours à l’interpretatio Romana, un processus par lequel ils assimilaient les divinités locales aux leurs, ce qui complexifie la compréhension des figures religieuses illyriennes.
Ce travail, bien que non exhaustif, est une invitation à découvrir un polythéisme indo-européen oublié, profondément ancré dans le culte de la nature et des ancêtres. Notre connaissance du panthéon illyrien demeure limitée par le manque de sources écrites et la fragmentation des découvertes archéologiques. Pourtant, les traces que nous avons, des cultes solaires aux divinités liées aux forêts et à l’eau, révèlent une spiritualité riche qui a su résister à l’influence des peuples voisins. Cet aperçu nous rappelle la diversité des croyances qui ont façonné l’Europe ancienne et nous invite à explorer cet héritage spirituel.
Ressources sur le sujet
– De la formation de l’ethnie illyrienne (à la lumière des découvertes faites en Albanie) de Muzafer Korkuti (archéologue, spécialiste de l’Albanie préhistorique)
– Les Illyriens, aux limites du monde grec, Pierre Cabanes
– Éléments des cultes illyriens chez les Albanais (Le culte du Soleil), article de Mark Tirtja
– Cadmos-serpent chez les Illyriens, diffusion et réception d’un mythe grec par Maria Paola Castiglioni,
– Hatia, Taulant. Illyrian Gods and Goddesses. Uegen, 2010
– Hybrid Deities in South Dalmatia, Marina Prusac (Bulletin d’archéologie en ligne, congrès de Rome 2008)
– The Illyrians: History and Culture, Aleksandar Stipčević (1977)
Archives du blog, article initialement publié en 2021