Le développement personnel et le New age sont en plein essor ces dernières années. La porosité entre les deux est telle que des concepts ésotériques, comme le tarot divinatoire, se sont infiltrés du New Age dans le développement personnel, le coaching, les thérapies alternatives, etc. Pourtant, ce dernier n’est pas un outil propre à ces domaines à l’origine…
Au début, j’étais enthousiaste, naïve peut-être. Certaines heureuses coïncidences semblaient m’indiquer que cet instrument pouvait être pertinent. Mais au bout de quelques mois, en observant les attitudes et les interactions d’autres usagers, j’ai été frappé par le comportement addictif de certains. J’ai ressenti de la peine pour ceux dont la vulnérabilité était exploitée. J’ai questionné les résultats obtenus et effectué des recherches. Et j’ai constaté, que cette dépendance est aussi nocive que l’addiction aux jeux de hasard, aux jeux vidéos, à l’alcool ou au sexe. Elle est d’ailleurs classée par les professionnels de la santé mentale, dans les dépendances sans substances. Curieusement, ce sujet est peu débattu, il me semble, par rapport à d’autres formes d’addiction. Est-ce parce qu’on en sous-estime les effets ou que les victimes honteuses témoignent peu de leur mésaventure ? Je ne sais pas.
La liberté de croire, mais sans nuire à autrui
Lire l’avenir dans les cartes est une croyance, qui relève de l’occultisme et du monde de l’ésotérisme. Ce n’est pas une pratique issue historiquement du développement personnel, de la psychologie, etc. En effet, le coaching par exemple s’est inspiré d’abord des pratiques propres au domaine sportif aux USA, avant d’être utilisé en entreprise pour des enjeux similaires en termes de compétition et d’amélioration des performances. C’est seulement ensuite, que cette forme d’accompagnement a touché d’autres domaines et les particuliers. La mode de la sorcière moderne a aussi popularisé l’usage des cartes divinatoires, notamment sur Youtube puis Tik Tok, auprès des jeunes générations. L’amalgame y est vite fait entre développement personnel, pratiques occultes et spiritualité. Mais à ce jour, aucune étude scientifique n’a prouvé l’efficacité et la fiabilité avec certitude du tarot divinatoire. Cela reste une expérience subjective, parfois très proche d’une démonstration de mentalisme (pas toujours consciente). Par respect pour le principe de tolérance, je suis convaincue que chacun est libre de croire ce qu’il veut. Mais il y a une condition à cela. Cette croyance ne doit pas nuire à la personne, et elle ne doit pas lui avoir été imposée de façon directe ou voilée par autrui (prosélytisme déguisé). Hors ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Contre les angoisses de l’avenir, le tarot « doudou »
Il est tout à fait compréhensible, dans les périodes difficiles de la vie (décès, rupture, difficultés financières…) de chercher du réconfort et des réponses. Adolescente, alors que je ne savais pas quelle orientation choisir et que l’avenir me faisait peur, je tirais les cartes avec mes copines. Nous les avions dénichées dans un magazine féminin. J’étais timide, influençable et je manquais de confiance en moi. A cette époque, je pensais que les autres étaient plus beaux, plus doués ou plus intelligents que moi. Mon estime de moi-même était au plus bas. N’importe quel moyen capable de me faire sentir moins nulle me semblait bon à prendre. Lors de nos soirées entre filles, il m’est arrivé de poser plusieurs fois la même question au tarot. J’espérais à chaque fois une réponse différente, plus conforme à mes attentes ou qui me fasse rêver d’un avenir serein.
Beaucoup des personnes, qui font appel aux pratiquants du tarot divinatoire, sont dans un état de vulnérabilité comparable, voir plus profond. Ils sont en attente d’une réponse ou d’un espoir, suite à un événement douloureux comme le décès d’un proche, une longue maladie, un licenciement ou une rupture amoureuse. Ils consultent aussi pour prendre une décision importante, craignant l’avenir et n’ayant pas confiance en leurs propres capacités de discernement. Le tarot vient alors apaiser leurs angoisses, leur peur de l’inconnu et leur faire espérer une issue heureuse. C’est parfaitement humain d’avoir besoin d’être réconforté ou conforté dans ses choix, quand nous doutons. Cet outil redonne l’impression d’avoir une prise sur les évènements à un moment où nous sommes désorientés. Mais, le recours compulsif au tarot peut cacher un mal-être, un manque d’estime de soi, une forte anxiété voire une forme de dépression, que ce dernier ne traitera pas. Pire ces failles rendent possibles l’exploitation de ces personnes, par des praticiens peu scrupuleux.
Les signes d’une addiction au tarot
- Tous les matins, tu te lèves avec l’envie de consulter les posts ou les vidéos de tirage. Tu n’arrives pas à te passer de cette habitude.
- Chaque décision ou acte important de ta vie est l’occasion pour toi d’aller demander un tirage.
- Tu attends du praticien qu’il te donne une réponse en Oui ou Non à une question, même si il/elle t’explique que ça ne marche pas comme ça.
- Tu dépenses de plus en plus d’argent en consultation et en achat de cartes, au point de t’endetter ou d’oublier de payer l’essentiel (loyer, frais de santé, nourriture, facture auto, etc).
- Tu as acquis ton propre jeu et tu poses plusieurs fois la même question en la reformulant dans l’espoir d’avoir une réponse différente.
- Tu as plus confiance en l’intuition de la personne que tu consultes, qu’en ta propre perspicacité pour prendre des décisions.
Mettre fin à la dépendance nocive au tarot
Cerner ton vrai besoin
La première étape est d’identifier la véritable raison pour laquelle tu consultes. Qu’est-ce qui te fais peur ou t’angoisses ? As-tu confiance en tes capacités ? Comment te sens-tu en ce moment dans ta vie ? As-tu simplement besoin de parler de tes soucis à quelqu’un pour y voir clair ? Il est important de cerner ce qui motive ton recours à la divination, pour trouver d’autres moyens d’y répondre, comme par exemple un rendez-vous avec un psychologue.
Lâcher prise
La seconde étape est de prendre conscience que dans la vie personne ne maîtrise tout. Il y a des choses sur lesquelles nous pouvons agir et d’autres non. Pour apaiser ton angoisse, concentre-toi sur ce sur quoi tu peux agir, ici et maintenant. Évite de trop te projeter dans l’avenir et surtout de façon pessimiste. Dirige ton attention sur chaque victoire et petits plaisirs de ton quotidien.
Limiter progressivement ta consommation
Tout lâcher du jour au lendemain n’est pas facile. Commence par espacer progressivement tes consultations au fur et à mesure. Désabonne-toi des lettres d’informations à ce sujet et désactive les notifications des applications de voyance de ton téléphone ou désinstallent-les.
Développer ta confiance en toi
Remettre dans les mains d’un tarologue (coach intuitif, éclaireur spirituel ou autres…) ou d’un jeu de cartes, une décision ou un choix concernant ta vie, c’est leur donner du pouvoir sur ton existence. Une fois, que ce praticien t’aura délivré son avis sur ta situation, il retourne à sa vie. C’est toi qui vas vivre et assumer les conséquences de ces choix, pas lui ou elle. Apprends à avoir confiance en tes capacités pour redevenir maître de ta vie.
Pour terminer
Le tarot divinatoire représente une sorte de facilité pour obtenir des réponses à toutes nos questions. Mais cette apparente facilité n’est pas sans conséquences. Certains addicts sombrent dans l’endettement au lieu de résoudre leurs problèmes. Et le recours à cet outil peut dissimuler des problèmes psychologiques plus importants, que cet outil ne résoudra pas comme une dépression, un manque d’estime de soi, une forte anxiété ou un profond désespoir. Dans l’espoir de contrôler son avenir, une personne vulnérable place alors toutes ses attentes dans les mains d’un inconnu. Certains praticiens éthiques savent identifier ces consultants fragiles et les rediriger vers un accompagnement adapté, mais ce n’est pas toujours le cas. Les techniques de développement personnes, coaching, les thérapies ont normalement pour objectif d’accompagner temporairement une personne dans la réalisation d’un objectif, en respectant son libre arbitre et en favorisant son autonomie. De ce fait, sa pratique me semble difficilement compatible avec celle du tarot divinatoire. Car ce dernier prétend anticiper l’avenir et apporter des réponses. Hors, accompagner quelqu’un c’est le rendre plus confiant en ses capacités à trouver des solutions, pour affronter le changement et l’incertitude propres à nos existences.
Si des cartes lui apportent des réponses toutes faites, comment pourra-t-il développer sa confiance en ses capacités à diriger sa vie ? Il ne saura jamais si le mérite du succès obtenu, suite à une consultation, provient de son propre discernement ou du fait qu’il a suivi l’avis d’un cartomancien. Il va rester dans le doute et l’idée que quelqu’un sait mieux que lui, comment conduire sa vie. En ce sens, le tarot divinatoire peut-être un frein au développement de la confiance en soi. Il existe bien des jeux de cartes pour le développement personnel/psychologie/coaching, mais ceux-ci ne sont pas divinatoires. Leur objectif est d’ouvrir le dialogue autour d’une situation, stimuler la créativité de la personne, la réflexion par le jeu pour qu’elle trouve elle-même ses réponses. Ils font appel à l’aspect ludique et aux qualités pédagogiques de ces supports, ainsi qu’aux propres ressources de l’individu (expériences passées, prise de recul, introspection, créativité). Il est humain de douter et d’avoir peur, lorsque la vie nous apporte son lot d’épreuves. L’essentiel est de trouver la force et le soutien approprié pour rebondir.
A lire au même sujet…
– Que sais-je ? Le coaching, de Amar Patrick et Angel Pierre, Presses Universitaires de France
– Ce que j’ai appris de mon addiction au tarot, Émilie Fenaughty, 2017, VICE
– Les nouvelles sorcières : voyance, business et addiction, reportage de 7 à 8, novembre 2021, TF1
– Treating fortune telling as an addiction, Robert Cribb, 2016,
– An addiction to seeking fortune-telling services: a case report, Valentin Yurievich Skryabin, 2020